Que se passe-t-il lorsqu’une paire de crypto-monnaies liées entre elles par un mécanisme instable rencontre des instabilités de marché ? Un crash épique qui brûle les investisseurs, dont beaucoup d’ailleurs n’avaient pas compris le fonctionnement du système. Ceux qui pointaient le risque évident étaient d’ailleurs sèchement rabroués par Do Kwon, le créateur du Terra, et par les true believers.

Terra-Luna : un couple très lié

Terra et Luna1)J’utilise les noms initiaux du whitepaper, qui sont plus clairs sur la relation entre les deux monnaies. Ils ont été par la suite renommés commercialement UST et Terra-Luna, Terra servant alors à désigner l’ensemble. sont deux crypto-monnaies, la première étant une stable-coin algorithmique : stable-coin car le Terra était supposé valoir toujours un dollar, et algorithmique parce que ce peg à un dollar n’était pas obtenu grâce à des réserves équivalentes à un dollar (ou plus) mais grâce à un mécanisme automatique.

Ce mécanisme repose sur le Luna, qui est une crypto-monnaie qui elle n’est pas stabilisée. Sa valeur sert de garantie au Terra via un mécanisme de swap entre les deux. A chaque instant2)En théorie, nous verrons que ça aussi ça a posé problème… il est possible d’échanger un Terra contre un dollar de Luna, et ce quelque soit la valeur du Luna.

En théorie, un arbitrage se met en place, où la valeur du Terra est maintenue très proche du dollar par des investisseurs échangeant du Terra contre de nouveaux Luna dès que la valeur du Terra est inférieure à un dollar, un dollar de Luna étant plus intéressant qu’un Terra à 99 cents. Lorsque le Terra vaut plus d’un dollar, il est à l’inverse intéressant d’échanger un dollar de Luna contre un Terra à 1.01 dollar.

Le Terra est ainsi stabilisé, ce qui est intéressant pour les spéculateurs qui souhaitent parquer des dollars entre deux achats de coins ou de NFT sans quitter le monde crypto3)Passer du monde crypto au monde de la finance régulée est relativement complexe et coûteux. Il y a des commissions, de la lutte anti-blanchiment etc. Ce n’est pas quelque chose qu’on a envie de faire plusieurs fois par jour. tandis que le Luna est une crypto-monnaie particulièrement spéculative dont le volume émis varie en fonction des besoins de stabilisation du Terra. Ce qui, j’imagine, a aussi ses amateurs : les joueurs viennent rarement sur les cryptos pour avoir de la stabilité.

Mais dysfonctionnel

Ce système nécessite plusieurs conditions qui ne sont aucunement garanties :

  • L’une est que la valeur totale des Luna soit largement supérieure à celle des Terra. Si vous garantissez 10 milliards de Terra avec 60 milliards de dollars de Luna4)Peu ou prou la situation avant le crash., vous pouvez à la rigueur rembourser tous les Terra avec du Luna au prix d’une inflation importante mais pas infinie. Si vous garantissez 10 milliards de Terra avec 200 millions de Luna5)Peu ou prou la situation après le crash., vous avez un problème.
  • L’autre est d’avoir un Luna liquide : les arbitragistes qui achètent 1 dollar de Luna avec un Terra à 0.99 dollar vont vouloir vendre leurs Luna pour concrétiser leurs gains. Cette liquidité doit par ailleurs être disponible en volume suffisant pour que les arbitragistes puissent liquider leurs positions sans faire trop baisser le prix du Luna, faute de quoi, l’arbitrage devient perdant.

Le risque de death spiral

Ces deux points ont aggravé le problème, mais la véritable racine de celui-ci est le mécanisme de stabilisation du Terra : chaque Terra est échangé contre un dollar de Luna, quelque soit le prix du Luna. En temps normal, le volume de Luna en circulation est à peu près stable et va augmenter ou diminuer tour à tour en fonction de la demande de Terra.

En revanche, en période de stress un peu plus important, chaque échange de Terra provoque une émission de nouveaux Luna, que les arbitragistes chercheront à vendre, faisant baisser le prix du Luna. Le Terra suivant sera donc échangé contre plus de Luna, pour atteindre un dollar de Luna. etc. etc.

L’émission de Luna de manière exponentielle va de plus épuiser la demande. Le prix risque alors de chuter bien plus vite encore que le volume n’augmente, réduisant la valeur totale des Luna en circulation en dessous de celle des Terra.

Le crash

Dans un marché des crypto-monnaies déjà fragilisé depuis le début de l’année, ce qui avait érodé la marge entre le volume de Terra émis et la valeur de Luna qui le garantissait, le swap d’un volume important de Terra6)Il y a plusieurs théories à ce sujet. Certains pointent une attaque contre le peg par une ou plusieurs personnes ayant noté la vulnérabilité, à un moment où pour d’autres raisons le bitcoin était moins liquide, d’autres notent que c’est le genre d’évènement aléatoire qui peut se produire, et qui se serait produit, de toute façon, un jour ou l’autre. en mai 2022, puis la vente des Luna résultants ont entrainé exactement cette death spiral.

Un détail amusant est que le smart contract de swap avait une limite arbitraire, élevée mais qui a été atteinte. La presse à imprimer n’arrivait littéralement pas à imprimer assez de Luna sans valeur pour soutenir le Terra. Les limites ont été rapidement augmentées, ce qui n’a eu pour effet que d’accélérer le crash du Luna.

En trois jours, la quantité de Luna en circulation est passée de 285 millions à 6 500 milliards de Luna, une multiplication de la masse monétaire par 23 000, sans parvenir à stabiliser le Terra, le prix du Luna chutant encore plus vite.

Plusieurs milliards de dollars de réserves en bitcoin ont aussi été vainement dépensés pour tenter de soutenir le Terra. In fine, le contrat de swap a été arrêté, le Terra désarrimé du dollar, le Luna abandonné à son sort de crypto-monnaie plus inflationniste que le mark de Weimar et, puisque c’est le monde de la crypto, le fondateur a immédiatement lancé une troisième monnaie en promettant qu’elle marcherait mieux que les deux premières7)Pendant la crise, il est apparu que le créateur du Terra-Luna avait déjà lancé une stable-coin algorithmique qui avait eu moins de succès mais avait fini par s’effondrer exactement de la même manière… Bon courage à ceux qui mettent de l’argent dans la troisième version : elle terminera pareil que les deux premières..

Le TerraUSD (renommé classic puisqu’il a été remplacé par un nouveau Terra) cote actuellement aux alentours de deux cents, ce qui fait peu pour une stable-coin supposée valoir un dollar.

 

Prix du Terra durant le mois de mai.

Quant au Luna Classic (renommé pour les mêmes raisons), Binance ne s’embarrasse même pas de décimales tant il a été atomisé durant la période où le smart contract de swap tentait de sauver le Terra en émettant du Luna en masse, ce qui était devenu impossible, la valeur totale du Luna étant devenue inférieure à celle du Terra.

Malheureusement, cette issue prévisible a eu des conséquences réelles, certaines personnes s’étant endettées pour investir dans les crypto-monnaies et se retrouvant ruinées voire en faillite. Les messages parlant de suicide se sont multipliés au point que sur le Reddit consacré au Luna, les numéros de lignes de prévention du suicide ont été postés en tête du forum.

Si vous investissez dans les crypto-monnaies8)Ce que je ne recommande pas, si vous voulez perdre du pognon, allez au casino, c’est plus marrant et il y a des cocktails gratuits., prenez garde à n’investir que de l’argent que vous pouvez perdre d’une part ; et de l’autre essayez au moins de comprendre qui contrôle la coin que vous voulez acheter et comment elle fonctionne.

D’autres cryptos dont des stable-coins ont d’énormes warnings qui clignotent 9)Tether en particulier, qui est une stable coin reposant sur des réserves, sauf que personne ne sait où sont celles-ci et que le peu qu’on en sait est loin d’être rassurant, d’autant qu’il est évident que l’entreprise qui le contrôle a menti à plusieurs reprises sur leur allocation.

Ils ont en particulier prétendu qu’elles étaient investies en commercial paper (de la dette d’entreprise à court terme), ce qui en aurait fait le plus gros acteur de ce marché, où tout le monde se connait mais où personne ne les connaissait à Wall Street.

Suite à cette enquête ils ont admis qu’il ne s’agissait pas de commercial paper au sens strict mais de prêts à des échanges et autres fonds bitcoins ou des entreprises chinoises nettement moins sûrs.
: il y aura d’autres crashs aussi violent que celui-ci.

Notes

Notes
1 J’utilise les noms initiaux du whitepaper, qui sont plus clairs sur la relation entre les deux monnaies. Ils ont été par la suite renommés commercialement UST et Terra-Luna, Terra servant alors à désigner l’ensemble.
2 En théorie, nous verrons que ça aussi ça a posé problème…
3 Passer du monde crypto au monde de la finance régulée est relativement complexe et coûteux. Il y a des commissions, de la lutte anti-blanchiment etc. Ce n’est pas quelque chose qu’on a envie de faire plusieurs fois par jour.
4 Peu ou prou la situation avant le crash.
5 Peu ou prou la situation après le crash.
6 Il y a plusieurs théories à ce sujet. Certains pointent une attaque contre le peg par une ou plusieurs personnes ayant noté la vulnérabilité, à un moment où pour d’autres raisons le bitcoin était moins liquide, d’autres notent que c’est le genre d’évènement aléatoire qui peut se produire, et qui se serait produit, de toute façon, un jour ou l’autre.
7 Pendant la crise, il est apparu que le créateur du Terra-Luna avait déjà lancé une stable-coin algorithmique qui avait eu moins de succès mais avait fini par s’effondrer exactement de la même manière… Bon courage à ceux qui mettent de l’argent dans la troisième version : elle terminera pareil que les deux premières.
8 Ce que je ne recommande pas, si vous voulez perdre du pognon, allez au casino, c’est plus marrant et il y a des cocktails gratuits.
9 Tether en particulier, qui est une stable coin reposant sur des réserves, sauf que personne ne sait où sont celles-ci et que le peu qu’on en sait est loin d’être rassurant, d’autant qu’il est évident que l’entreprise qui le contrôle a menti à plusieurs reprises sur leur allocation.

Ils ont en particulier prétendu qu’elles étaient investies en commercial paper (de la dette d’entreprise à court terme), ce qui en aurait fait le plus gros acteur de ce marché, où tout le monde se connait mais où personne ne les connaissait à Wall Street.

Suite à cette enquête ils ont admis qu’il ne s’agissait pas de commercial paper au sens strict mais de prêts à des échanges et autres fonds bitcoins ou des entreprises chinoises nettement moins sûrs.