Pourquoi faut-il un casier judiciaire vierge pour entrer dans certaines professions alors que ce n’est pas le cas des élus ?

Ce post est une réponse à une des questions d’une série impressionnante postée pour @checknews, ayant déjà écrit un article sur le sujet pour Second Glance, j’ai décidé de m’y coller. Cet article est en licence CC-BY au cas où Checknews souhaite le reprendre.

C’est en fait un abus de langage, aucune profession n’exige un casier vierge. Nous prendrons ici l’exemple des fonctionnaires mais le mécanisme est similaire pour les professions soumises à agrément. L’article 5 de la loi Le Pors de 1983 dispose en effet que :

Nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire :
[…]
3° Le cas échéant, si les mentions portées au bulletin n° 2 de son casier judiciaire sont incompatibles avec l’exercice des fonctions ;

La nuance peut paraitre mince mais elle a des conséquences importantes puisque la décision d’incompatibilité est une décision administrative, individuelle, et susceptible de recours. Le Conseil d’État a ainsi confirmé l’annulation d’un licenciement de la fonction publique hospitalière sur la base d’une condamnation pour trafic de stupéfiants.

10. Considérant qu’eu égard, d’une part, aux motifs de la condamnation pénale infligée à MmeB…, qui ont été précisés au point 6 ci-dessus, d’autre part aux caractéristiques de ses fonctions d’agent d’entretien, le centre hospitalier de Hyères a, dans les circonstances de l’espèce, commis une erreur d’appréciation en estimant que les mentions portées au bulletin n° 2 de son casier judiciaire étaient incompatibles avec l’exercice, par MmeB…, de ses fonctions et que son contrat était par suite entaché d’une irrégularité qui justifiait son licenciement ;

En quoi cette nuance est-elle importante ?

Elle est importante car le Conseil Constitutionnel a rappelé que l’inéligibilité est une peine, et donc que le droit d’être éligible est plus protégé encore que le droit à un emploi dans la fonction publique ou à un agrément. Or il existe un principe constitutionnel dérivé de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen prévoyant que seules les peines strictement nécessaires peuvent être appliquées1)Dans ce contexte, c’est ce qu’on appelle le principe d’individualisation de la peine.. Dans les mots du Conseil Constitutionnel, en sa décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010 :

Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que le principe d’individualisation des peines qui découle de cet article implique que la peine emportant l’interdiction d’être inscrit sur une liste électorale et l’incapacité d’exercer une fonction publique élective qui en résulte ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce ;

Ce simple considérant empêche toute inéligibilité automatique pour les personnes ayant un casier judiciaire, en l’absence de condamnation expresse, sous peine d’inconstitutionnalité de la loi. C’est le point soulevé par le Conseil d’Etat dans son avis sur le projet de loi sur la confiance dans l’action publique, qui a amené, d’ailleurs, à un amendement du texte pour utiliser un mécanisme déjà validé par le Conseil Constitutionnel : les peines plancher, avec une peine plancher d’inéligibilité pour un certain nombre de crimes et délits relatifs à la probité, le juge restant libre de ne pas prononcer la peine, à condition de le justifier.

 

Notes

Notes
1 Dans ce contexte, c’est ce qu’on appelle le principe d’individualisation de la peine.