Alors que les Républicains viennent d’exclure leurs membres qui ont rejoint le gouvernement 1)Ainsi que certains autres Constructifs.2)Sans qu’un quorum soit nécessaire, cette fois., et un peu plus d’un an après ce post, il est temps de faire un premier bilan et de tenter à nouveau de faire un peu de prospective. Emmanuel Macron s’est confortablement installé à l’Elysée dans les habits d’un réformateur clairement pro-européen, dont les premiers pas sur la scène internationale ont été salués. Il a obtenu une majorité à l’Assemblée Nationale qui le met à l’abri des risques d’une coalition, avec un renouvellement très large et un groupe majoritaire qui, pour la première fois, comporte presque autant de femmes que d’hommes.

Malgré quelques couacs, ce renouvellement inédit n’a pas provoqué la crise majeure prévue par certains, et les premières réformes n’ont provoqué que des manifestations modestes, loin du 3ème tour social prédit par certains3)Même Jean-Luc Mélenchon semble d’ailleurs se faire à cette idée.. Sans être populaire, le gouvernement n’est pas massivement contesté et LREM reste assez largement le parti le moins impopulaire, une sorte de choix raisonnable sans enthousiasme, devant un manque d’offre politique alternative crédible. Je vais donc à nouveau prendre quelques risques et tenter d’ébaucher des perspectives pour l’année à venir4)Les partis sont classés dans l’ordre de leur nombre de parlementaires, en omettant le MoDem, l’UDI et EELV. .

La République En Marche

La bulle n’a pas éclaté, et un parti a réussi à conquérir l’Elysée et le palais Bourbon moins de 18 mois après sa création, détruisant au passage les deux blocs qui structuraient la vie politique française depuis près de 50 ans5)Disons, depuis 1971, où François Mitterrand positionne le PS comme un parti de gouvernement qui finira par le mener au pouvoir, ou 1976, où Jacques Chirac fait de même en créant le RPR.. Le défi pour LREM est maintenant de pérenniser et professionnaliser sa structure ainsi que de se créer un vivier de candidats pour les élections locales afin de gagner un enracinement qui lui manque actuellement. En Marche a lancé récemment une initiative de formation de ses militants6)Plutôt bien faite, d’ailleurs., qu’il faut lire dans cette perspective : trouver quelques dizaines de candidats très bien formés pour les européennes de 2019 ne sera pas difficile, constituer un réseau militant capable de fournir des candidatures de qualité pour chaque commune et département sera plus compliqué.

Cela étant dit, le parti bénéficie maintenant d’un financement public conséquent qui lui permet de préparer l’échéance de 2020 de manière sereine. La campagne a fait émerger une écurie présidentielle, le défi restant est de construire une offre globale pour les autres scrutins, et ce chantier est déjà entamé.

Les Républicains

La nomination d’Edouard Philippe7)Et, de manière probablement sous-estimée, de Jean-Michel Blanquer, qui répond à certaines craintes profondes de l’électorat LR., presque inconnu alors, comme Premier Ministre est probablement la décision la plus politique du début du quinquennat et un coup majeur8)Probablement un des coups de vice politicien les plus efficaces de cette décennie… porté à LR, qui aurait pu revendiquer la position de premier opposant. Cette nomination ainsi que la défection des Constructifs ont complètement détruit la rhétorique assimilant Emmanuel Macron à François Hollande, coupant les Républicains de leur aile centriste et les forçant à se réfugier sur leur cœur de cible : les conservateurs éduqués.

Le problème majeur de LR est que cette cible est vieillissante et insuffisante pour constituer une majorité. La probable élection de Laurent Wauquiez pour diriger le parti ne fait que renforcer cet aspect, bien qu’il se soit associé à Virginie Calmels pour tenter, au moins dans les apparences, de satisfaire la frange juppéiste du parti. Traditionnellement, à droite, l’élection du chef sert à définir la ligne politique, et les maigres concessions pour tenter de préserver l’unité de l’appareil risquent, à terme, d’être insuffisantes ; la question du devenir des juppéistes dans un LR identitaire ne sera pas tranchée uniquement en donnant quelques postes de direction et la fragmentation progressive de LR risque de continuer dans les mois à venir, avec une ligne politique qui restera floue le temps de faire le tri.

Une erreur d’analyse serait de considérer que François Fillon n’a perdu qu’à cause de l’affaire Penelope et que la droite est majoritaire : ce n’est vrai qu’à condition d’attirer une part importante du centre. L’IFOP a conduit une enquête d’opinion sur les intentions de vote 6 mois après la présidentielle : Fillon perd 20% de ses électeurs qui font défection vers Macron. L’action d’Edouard Philippe est aussi assez largement plébiscitée (environ 57% selon l’IFOP) par les sympathisants de LR ce qui est un signal d’alarme sérieux pour le parti.

Pour LR, l’échéance critique est moins 2020, où son large réseau d’élus pourra être utile, que 2019 où la position ambiguë du parti sur l’Europe risque d’être difficile à porter entre un FN ouvertement identitaire et LREM très pro-européen.

Le Parti Socialiste

Les deux gauches irréconciliables, chères à Manuel Valls, se sont séparées ; le Parti Socialiste est blessé mais dispose enfin d’une certaine cohérence idéologique tout en conservant un réseau national important. Contrairement à LR, le choix de la direction est relativement peu important dans ce contexte : le PS est un parti d’élus, son principal objectif va être de conserver ses structures locales. Il n’est de toute façon pas en état de s’imposer au niveau national et va devoir se reconstruire lors des élections municipales de 2020 puis départementales et régionales de 2021.

Le critère de succès du PS, et dans un sens la condition de sa survie, seront à rechercher dans ces élections locales, dernier refuge de barons ayant dû abandonner l’Assemblée Nationale. Je ne m’attends pas à ce que le PS se positionne franchement en opposition durant sa reconstruction tant il a à perdre en cas de candidatures systématiques de LREM au niveau local : un rôle d’aiguillon de gauche face à En Marche est plus plausible, au moins jusqu’en 2021.

La France Insoumise

La France Insoumise s’est installée dans le rôle de premier opposant à Emmanuel Macron, profitant des difficultés des Républicains mais aussi de la recomposition en cours au Front National, mais sa position est aussi fragilisée par les outrances de Jean-Luc Mélenchon et l’échec des manifestations contre la réforme du code du travail. Les sondages sont partagés : Jean-Luc Mélenchon perd des intentions de vote dans le sondage 6 mois après dont nous avons parlé, mais son parti reste relativement populaire, 10 points derrière LREM mais quelques points devant LR.

En se revendiquant hors-système et en lançant ses propres médias, le parti risque de s’enfermer dans son cercle de partisans, souvent jeunes, en se coupant de la majorité des électeurs (et de la presse). C’est une bonne stratégie pour s’assurer d’un minimum de représentation, mais cela risque de l’empêcher de progresser, d’autant que les partis tribuniciens ont tendance à sous-performer aux européennes et aux élections locales, où son manque d’enracinement posera aussi problème.

Comme pour LREM, une des priorités prévisibles de FI est la formation de cadres, le parti reposant presque entièrement sur Jean-Luc Mélenchon et une poignée de ses proches depuis la séparation avec le PCF, mais sans le financement de LREM et en se reposant sur une base beaucoup plus jeune.

Le Front National

Le Front National a cette malédiction de se déchirer dès qu’il approche du pouvoir : l’odeur des première prébendes exacerbe les différences idéologiques qui ne posent guère de difficulté tant que le parti est loin du pouvoir. A ces difficultés idéologiques s’ajoute le manque chronique de cadres compétents, source régulière d’embarras pour ce parti.

Les querelles de doctrine seront aisément surpassées, tant il est simple de passer d’une critique de l’euro à une critique de la BCE ou de l’Union européenne, en prétendant que la gestion de la monnaie n’est pas faite dans l’intérêt des peuples, tout en supprimant du programme l’objectif d’un retour au franc qui est anxiogène. Les querelles de personnes pourraient laisser plus de traces, il s’agit d’un risque majeur, mais Philippot étant un personnage imposé par le haut du parti, son limogeage ne devrait pas avoir l’impact de celui de Mégret, par exemple, sur le réseau militant.

Le Front National est actuellement en pleine réflexion, avec une consultation des adhérents prévue en novembre mais, contrairement à LR et de manière similaire à la FI, sa base est relativement homogène9)Voir, par exemple l’enquête IPSOS «Fractures Françaises», certaine de son choix, et le positionnement pour les élections européennes clair.

La faiblesse de Marine Le Pen suite à son échec est temporaire et si le parti est relativement peu visible aujourd’hui, il va certainement redevenir une force d’opposition majeure dans les mois à venir : l’environnement lui est favorable avec la crise des réfugiés et les menaces d’attentat et il a un positionnement sur l’Europe et l’ouverture internationale à l’opposé de LREM qui lui permet de revendiquer une position claire d’opposant.

Reste évidemment le problème majeur du FN : son incapacité à nouer des alliances le condamne à l’opposition perpétuelle et le manque de cadres le handicape au niveau local. Malgré la droitisation du discours de LR, il est vraisemblable que ce point n’évoluera guère à court terme : le seul facteur qui permet encore à la droite de LR de se différencier du FN est l’absence d’alliance avec Le Pen, mais après quelques déconvenues électorales…

Quelques prévisions

Malgré la difficulté de faire des prédictions, un point flagrant est que les partis les plus susceptibles de se faire entendre au niveau national sont aussi ceux qui manquent le plus de relais locaux et de cadres. L’inverse est aussi vrai : LR et le PS disposent d’un large vivier qu’ils doivent préserver à tout prix mais sont coincés idéologiquement entre le FN d’une part, la FI de l’autre et En Marche qui a réussi à confisquer la place centrale qui était celle du parti radical sous la IIIème République. C’est une situation inhabituelle, d’autant plus que FN et FI se partagent en prime les votes opposés à l’UE tout en étant inconciliables.

Ce double clivage de l’opposition donne une opportunité à En Marche de devenir quasiment hégémonique si le parti arrive à renouveler le relatif succès de son opération de recrutement des législatives à l’échelle des élections locales. Un succès les mettrait dans une excellente position pour aborder la prochaine présidentielle, face à des adversaires affaiblis, mais la tâche est plus complexe que pour quelques centaines de députés ou quelques dizaines de candidats aux élections européennes. Rendez-vous en 2019…

 

Notes

Notes
1 Ainsi que certains autres Constructifs.
2 Sans qu’un quorum soit nécessaire, cette fois.
3 Même Jean-Luc Mélenchon semble d’ailleurs se faire à cette idée.
4 Les partis sont classés dans l’ordre de leur nombre de parlementaires, en omettant le MoDem, l’UDI et EELV.
5 Disons, depuis 1971, où François Mitterrand positionne le PS comme un parti de gouvernement qui finira par le mener au pouvoir, ou 1976, où Jacques Chirac fait de même en créant le RPR.
6 Plutôt bien faite, d’ailleurs.
7 Et, de manière probablement sous-estimée, de Jean-Michel Blanquer, qui répond à certaines craintes profondes de l’électorat LR.
8 Probablement un des coups de vice politicien les plus efficaces de cette décennie…
9 Voir, par exemple l’enquête IPSOS «Fractures Françaises»